Pages

lundi 14 octobre 2024

Incipit et Goncourt


459, c'est le nombre de romans parus depuis fin août, c'est ce que les Français appellent généralement la rentrée littéraire, une jolie tradition qui n'existe pas (semble-t-il) dans d'autres pays. En effet 459 romans (311 français et 148 étrangers), c'est énorme mais moins qu'en 2023 466 et beaucoup moins qu'en 2010 avec le record historique de 701 publications. Pourquoi cette frénésie éditrice chez nos voisins français à la fin de l'été ? Tout simplement parce que l'automne est la saison des prix littéraires et donc pour gagner un des nombreux prix en lice, il faut publier en août-septembre. Alors évidemment, personne ne se voit dans l'obligation de lire les 459 romans à moins que l'on fasse partie d'un jury littéraire. C'est exactement ce dont nous entretient Éric-Emmanuel Schmitt dans le dernier numéro du magazine Lire. Il sait de quoi il parle puisqu'il fait partie de l'Académie Goncourt.



Alors d'une part, on l'aurait parié, prétendre lire tous les livres de la rentrée est impossible (Schmitt parle d'illusion, de mensonge ou de fanfaronnade) et d'autre part, cela signifie que beaucoup de grands romans voire de petits chefs d'oeuvre peuvent facilement passer sous le nez des jurys littéraires. De ces 311 romans français ou francophones, un seul recevra le prix Goncourt le 4 novembre prochain. Après une première sélection de 16 romans dévoilée le 3 septembre, il ne reste plus que 8 romans en lice (voir la photo tout en haut du billet). Ce qui a intéressé le diabl@gueur dans le billet de ce cher Schmitt, c'est une idée mise en pratique depuis belle lurette par l'auteur de ces mots et apparemment aussi par Schmitt lui-même à savoir lire la première phrase d'un roman, ce que l'écrivain appelle l'incipit. Ô combien importante est la première phrase d'un livre qui peut vous happer comme une ventouse ou au contraire vous laisser indifférent. Le diabl@gueur ne se considère pas un grand lecteur (une douzaine de livres par an sans compter les bédés évidemment) mais, par contre, c'est un grand lecteur d'incipit. Schmitt l'explique fort bien dans sa chronique, la première phrase d'un roman procure une promesse, donne à sentir un style, déroule un monde, un projet. L'écrivain donne plusieurs exemples d'incipit réussi (Miguel Bonnefoy, Amélie Nothomb, Étienne Kern, Hélène Gaudy, Maylis de Kerangal et Gaël Faye), ces trois derniers faisant partie des finalistes du prix Goncourt 2024. La brièveté de sa chronique obligeant Schmitt à négliger d'autres excellents débuts, le diabl@gueur a décidé de terminer le boulot et de présenter les incipit des 5 autres romans sélectionnés pour le prix Goncourt. Les voici...

La terre frémit sous leur pas lourd. Ils se hâtent, de cette lenteur presque hypnotique des grands corps épuisés après une journée de labeur – interrompue bien avant l’heure, quand l’enfant est venu. 
Madelaine avant l'aube, Sandrine Collette (JC Lattès)

Le vois-tu ? Je montre un grand sourire ininterrompu et je suis muette, ou presque. Pour me comprendre, on se penche vers moi très près comme pour partager un secret ou une nuit complice. 
Houris, Kamel Daoud (Gallimard)

La mer du Nord est basse sur la plage de Dunkerque. On dirait du Flaubert (si – ou du Maupassant) mais il n’y a pas dix-huit façons de le dire : à Dunkerque, c’est marée basse.
La désinvolture est une bien belle chose, Philippe Jaenada (Mialet-Barrault)


La première fois que l’architecte voit le Führer, il le trouve concentré à sa table, nettoyant un pistolet. Adolf Hitler – le Führer, le guide – pousse les pièces détachées de l’arme et dit à Albert Speer – l’architecte, l’artiste – de poser les esquisses sur l’espace vacant. 
Vous êtes l'amour malheureux du Führer, Jean-Noël Orengo (Grasset)

Mes sœurs avaient trois jours devant elles pour payer les dettes de notre défunte mère Malika. Pas un jour de plus.
Le Bastion des larmes, Abdellah Taïa (Julliard)

N'ayant lu encore aucun de ces 8 romans sélectionnés (contrairement à M. Schmitt, je l'espère), le diabl@gueur ne peut que se fier qu'à l'incipit de ceux-ci et celui qui lui titille le plus sa curiosité, c'est celui d'Hélène Gaudy dans son roman Archipels. Ce sera le prochain Goncourt, parole de diabl@gueur.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire