Les BD françaises de 2020

Comme chaque année, début décembre, c'est le moment des récapitulations et comme d'habitude depuis deux ans, on commence par la bande dessinée. Cet annus horribilis 2020 (auquel on aimerait bien enlever un "n") n'aura pas été trop dramatique pour le secteur car ni la pandémie ni le confinement n'ont empêché les fans de BD de s'adonner à leur passion. L'année aura été quand même très triste avec la disparition de quelques grands génies du 9ème art. Ainsi perdre la même année Albert Uderzo, Claire Brétecher et Quino, ça fait beaucoup mais il y eut aussi les disparitions de René Follet, André Chéret, François Dermaut, Philippe Adamov,  André-Paul Duchâteau, Hubert (Boulard), Dennis O'Neil et Juan Giménez. Il nous restera toujours leurs œuvres pour ne pas les oublier. À part ça, 2020 se termine avec deux grandes sorties, le 81ème album de Lucky Luke (un record !) et la réédition de l'album illustré Le menhir d'or, paru en 1967 sous la forme d'un livre-disque et quasiment introuvable depuis lors. Attention, ce n'est pas un album de bande dessinée (plutôt un livre illustré) mais c'est du Goscinny et Uderzo quand même. Outre Astérix et Lucky Luke, il y aura eu beaucoup d'autres albums intéressants, le diabl@gueur n'aura retenu que les publications d'auteurs français (dessinateurs et scénaristes). Vous ne trouverez pas non plus les suites des séries publiées en 2020 et dont les tomes précédents avaient été sélectionnés en 2018 et 2019, comme par exemple, L'odyssée d'Hakim (Tome 3), Charlotte Impératrice (T.2), Hope One (T.2), Le vagabond des étoiles (T.2), Faut pas prendre les cons pour des gens (T.2), Un putain de salopard (T.2), L'âge d'or (T.2), Le château des animaux (T.2). Ça fera quand mêmes 40 albums sélectionnés comme chaque année. Cliquez sur les couvertures pour voir une planche de chaque bédé et bonne lecture !

Après Zapatistas en 2015, Pierre Place nous ramène dans le Mexique révolutionnaire des années 1910 avec ce récit à la fois zombiesque et historique qui vous tiendra en haleine de la première page jusqu' à la dernière. Frisson garanti !

Daniel Blancou s’est sans doute inspiré de sa propre expérience pour mettre en scène cette parodie drôle mais qui égratigne au passage certaines dérives de l'industrie de l’édition. On y voit un auteur de BD en pleine déprime pillant l'idée géniale d'un jeune inconnu. Espérons que cela sera pure fiction...

Anne Simon développe depuis 2005 toute une galerie de personnages atypiques, que l'on retrouve au fil de ses publications, construisant ainsi une véritable saga. Dans ce nouvel épisode des Contes de Marylene, l'autrice fait le portrait de deux jeunes femmes marquées par une enfance tragique. Un album au charme indéniable qui vient confirmer le succès de Boris l'enfant patate en 2018.

Presque 40 ans après la sortie du roman de Roal Dahl, Pénélope Bagieu fait entrer Sacrées sorcières dans le monde du 9ème art avec l'intelligence et le talent qu'on lui connaît. Un album grand public qui fait rire, qui fait peur et qui questionne. Bravo Pénélope !

Blutch et Robber reprennent cette mythique série belge (née dans le journal Spirou dans les années 50 et devenue française aujourd'hui par leur grâce) et nous offrent un 46ème album que le créateur Will lui-même n'aurait pas renié sans doute. Un régal tant narratif que visuel qui nous rendra bien nostalgique !

 

 

Claire Fauvel retranscrit à merveille le parcours initiatique de deux jeunes adolescentes qui rêvent de réussir dans la musique. Au-delà de cette quête ultime, ce très bel album aborde aussi et surtout le thème du passage à l'âge adulte et de tous les errements qu'il implique. Une bonne surprise !

 

Une très bonne surprise que cet album qui nous fait découvrir un personnage méconnu et peu sympathique. Le dessin très réaliste de Cyrille Ternon et le scénario du duo Boisserie-Guillaume nous permet de nous immerger dans l’ambiance très lourde de l’Allemagne de cette époque. Historique donc et très instructif. Le Tome 2 est déjà disponible.

Un nouvel et bel album de ce vétéran de la bédé française sur le phénomène du burn-out, véritable fléau de nos temps modernes. On suivra avec curiosité le long périple d'un bibliothécaire au bout du rouleau parti pour retrouver celui qui avait changé sa vie dans sa jeunesse. Un petit bijou signé Didier Tronchet.

 

 

Voici le premier tome d'une ambitieuse série dans laquelle le scénariste Oz et le dessinateur Bastien Sanchez décrivent les compromissions des nantis et des déshérités avec comme fil conducteur le trafic de drogue. Difficile de ne pas être impressionné par la maîtrise narrative et graphique de cet album coup de poing, dans la lignée de la série tv culte The Wire.  

 

 

Jean-Pierre Pécau et Fred Blanchard nous proposent une relecture de l’histoire contemporaine à travers le prisme du pétrole. Une œuvre admirablement documentée et très bien construite qui ravira tous les curieux de l’Histoire. Magistral et très instructif !
 

Après des titres remarquables tels que Le Goût du chlore, Une Sœur ou Le Chemisier, Bastien Vivés surprend avec ce polar inquiétant et captivant. Le scènario de Martin Quenehen fait mouche assurément et les illustrations en noir et blanc à la Fabcaro donnent une ambiance sombre à cette histoire bien actuelle.

 

 

Pour son premier roman graphique, Nadia Nakhté choisit un format original à mi-chemin entre le livre illustré et la bande-dessinée. Coup d'essai et coup de maître donc avec cet album au graphisme magnifique qui raconte l'histoire d'une jeune fille et un militaire fuyant leur pays en guerre, en direction de l'Europe. Superbe et émouvant !

 

 

Après Cruelle (2016), Florence Dupré La Tour continue son roman autobiographique et enfonce le clou en se concentrant ici sur une chose ultra taboue dans sa famille: la sexualité. Tout aussi diaboliquement drôle et mordant que le premier volume, l'autrice propose une œuvre féministe à faire lire par tous !

 

Joëlle Jolivet et Fabrice Colin trousse un thriller efficace et plutôt sordide, nous faisant (re)découvrir un film culte et maudit des années 1930. Harry Monroe rêve d'Hollywood mais quand il devient assistant d'une production dont le casting est composé de phénomènes de foire, il va mettre le doigt sur une vaste machination perverse et écœurante.

 

Après nous avoir emmenés dans la Chine révolutionnaire avec son précédent album Servir le peuple (2018), Alex W. Inker s'attaque cette fois-ci à l’Amérique de Steinbeck. Au final, une excellente adaptation du roman de Virginia Reeves où un fermier en déprime détourne une ligne électrique pour sauver son exploitation. Un récit social, humain et passionnant.

 

Comment un simple berger est-il devenu roi de tout un pays ? Stanislas Moussé raconte cette ascension dans cet album sans texte composé de 200 planches pleines pages dessinées au rotring avec moult détails. Une expérience graphique originale et surprenante !

Quelle belle idée de raconter en bédé l'histoire vraie des naufragés de la Méduse ! En effet, tout le monde connaît le fameux tableau de Géricault mais qui se rappelle encore cet épisode tragique de la marine français en 1817. Jean-Christophe Deveney et Jean-Sébastien Bordas nous livre la double histoire (du naufrage et du tableau) de façon captivante et à la manière d'un roman d'espionnage.

 

 

 

Grand Prix RTL de la BD, Prix Landerneau, Grand Prix de la BD de l'ACBD, Prix Wolinski-Le Point, voici peut-être le meilleur album de 2020 que le grand Hubert (Boulard) nous a laissé après nous avoir quitté en février. Quelle merveille de poésie que cette fable où les auteurs questionnent notre rapport au genre et à la sexualité, à la morale et la religion, le tout avec beaucoup de finesse et les superbes dessins de Zanzim ! Indispensable !

Un début prometteur pour cette nouvelle série pas spécialement originale mais assez solide pour durer longtemps. Tristan Roulot et Dimitri Armand présentent en effet un monde post-apocalyptique à la Mad Max, très noir et violent, sur la base intéressante de la disparition du fer. Avec en prime, un personnage principal sombre et mystérieux comme on les aime. Avis aux amateurs !

 

 

À la recherche de sa fille disparue près de la frontière mexicaine, un vieux cow-boy va croiser la route d’un enfant apache aussi mystérieux que silencieux. Une quête initiatique maîtrisée, avec tout le talent de Tiburce Oger et digne d’un western cinématographique.

 

 

Patrice Leconte revient à ses premières amours (la bédé) pour nous livrer un album au scénario efficace et rafraîchissant sur le sujet archi-rebattu de l'occupation. Cette traversée de Paris (version féminine) dans la nuit déserte de l'occupation est magistralement servie par le superbe dessin d'Al Coutelis.
 

 

Après Le voyage de Marcel Grob, Philippe Collin et Sébastien Gœthals récidivent avec ce nouvel opus racontant le destin de deux juifs orphelins qui vont devoir travailler pour la Stasi et servir le régime communiste de la RDA. Une nouvelle réussite pour un duo qui manie à merveille le subtil mélange entre petite et grande histoire.

 

Dans ce magnifique album, Isabelle Bauthian et Agnès Maupré nous raconte l'histoire fascinante du docteur James Barry, en réalité Margaret Bulkley qui parvint toute sa vie à dissimuler sa nature, révolutionna les conditions sanitaires de son époque, et devint la première femme médecin européenne. Une lecture à la fois dans l’air du temps et un sensationnel témoignage rappelant le long chemin nécessaire aux changements des mentalités.

On connaît bien Mathieu Bablet depuis Shangri-La (2016), considéré une référence en SF. Le voici qui récidive avec un des meilleurs albums de l'année et cette histoire où deux robots d'un nouveau type doivent prendre soin de la population humaine vieillissante. Dur labeur !

Voici un autre très grand album de l'année que l'on doit à Cyrielle Evrard (alias Cy) et qui met en lumière un scandale humain comme il y en eut tant dans la sombre histoire de l'humanité. Le destin de ces femmes à qui l'on a menti sur les répercussions de l'utilisation de l'uranium dans la peinture et qui ont donné leur santé pour des hommes partis au front. Le travail aux crayons de couleur est superbe et l'histoire aussi émouvante qu'indispensable.
 

 

Dominique Gelli adapte le roman le plus noir de Jean Teulé qui s'inspire d'un fait réel très marquant de la fin du 19ème siècle. Le format du roman graphique et le trait sombre du dessinateur conviennent très bien à ce récit historique. Au final une oeuvre d'une noirceur et d'une barbarie absolues à ne pas mettre entre toutes les mains.

 

 

La nouvelle coqueluche de la bédé française surprend encore avec ce nouvel album qui mêle science-fiction et érotisme. Les 120 pages de l'ouvrage sont à l'image de la couverture brillante et kitch avec une mise en couleur à la Warhol peu fréquente. C'est aussi une réflexion sur le désir sexuel, à travers la condition d'une machine programmée. Du cul intelligent, pour une fois !

 

Petite entorse à la règle de ce billet puisqu'il s'agit d'une bédé franco-américaine mais l'album est tellement bien... On ne présentera plus ni Boucq ni Charyn (l'américain) qui en sont à leur quatrième album ensemble, le premier datant de 1990 et devenu un classique. On avait lu avec plaisir en 2014 et dans la même collection Signé, le début de la terrible histoire de Pavel et Azami.  Cette suite n'est pas non plus de tout repos et vous prend littéralement aux tripes. Du grand art !

 

 

On ne présentera pas Baru, l'auteur le plus souvent récompensé à Angoulême. Son dernier album, dans la lignée de Quéquette Blues et des Années Spoutnik, raconte une histoire populaire de l'immigration italienne où Teodoro Martini, le narrateur, reconstruit son histoire familiale, au gré des fluctuations de sa mémoire. Le résultat est une lecture passionnante, dessinée avec grâce et d’une intelligence remarquable.

 

Laureline Mattiussi et François Rivière mêlent éléments biographiques et évocations oniriques de Jean Cocteau et de son œuvre aux multiples dimensions. Les amours, les excès, les bons mots et l’œuvre protéiforme de Cocteau se retrouvent dans cette biographie en noir et blanc au trait puissant et évocateur.

 

Après le succès de Pereira Prétend et de Malaterre, Pierre-Henry Gomont change complètement de registre et nous entraîne dans un road movie échevelé et drolatique, imaginant la véritable destinée du cerveau d'Einstein. Menée tambour battant, cette histoire rocambolesque et burlesque est aussi une réflexion passionnante sur la complexité de l'âme humaine.

 

Coup de cœur pour cette nouvelle série anthropomorphique plus complexe qu'il n'y paraît ! On pense bien sûr à Blacksad, au Château des Animaux, ou à Solo dans un genre fantasy. Avec son univers original et un imaginaire graphique surprenant, Sa Majesté des Ours fait déjà partie des nouveautés incontournables de cette fin d'année !

 

Après deux remarquables adaptations de romans de Sorj Chalandon, Pierre Alary surprend avec cette préquelle très réussie du personnage de Zorro au scénario brillamment construit. Un grand moment de lecture, empreinte de la nostalgie qui fait plaisir et dont on attend la suite. Remarquable !

 

On doit ce conte médiéval et fantastique à deux vétérans de la bédé française à savoir Lewis Trondheim et Alfred. Comme d'habitude, ils ne nous déçoivent pas avec cet opus où il faut attendre les toutes dernières pages pour délayer le vrai du faux et enfin faire partir l'horrible orage qui s'est installé sur le château de Castelmaure. Une légende digne des plus beaux contes de Grimm.

À partir du roman de John Steinbeck, Rébecca Dautremer a réalisé un chef d'oeuvre à ne manquer sous aucun prétexte. Voici donc l’histoire de George et Lennie, deux saisonniers qui voyagent à travers la Californie, rêvant d’une vie meilleure. Un récit magnifique sur l’amitié, l’espoir mais aussi la cruauté des hommes, superbement rendu par le magistral coup de crayon de Rébecca.

 

 

Avec cette première collaboration, Marine Levéel et Lilian Coquillaud nous emmènent dans une partie de chasse étouffante où le lecteur est plongé au plus profond de ce rapport pur et violent que les hommes recherchent parfois avec la nature. À partir de ce récit, les auteurs tressent un récit acéré d'émotions qui résonne on ne peut plus actuel. Beau et implacable comme la nature l'est souvent.

 

 

On pense tout de suite à Georges Perec en découvrant cet album surprenant et ciselé comme de l’orfèvrerie fourmillant de détails dans les décors et où l'on découvre une trouvaille à chaque page. Du coup on pourrait lire et relire ce récit labyrinthique qui se déroule dans une grande ville contemporaine.
 

 

Après l'avoir envoyé à Paris en 2018, Jul et Achdé ont décidé de plonger notre cow-boy préféré dans le coton de la Louisiane esclavagiste pour un album drôle et opportun. L’actualité récente du pays de l’Oncle Sam ne fait que confirmer la pertinence du propos. Ce sera aussi l'occasion de rencontrer Bass Reeves, premier marshall noir des États-Unis.

 

Fabrice David et Éric Bourgier nous ont fait attendre 15 ans pour savourer la suite et la fin de cette série médiévale-fantastique. Si la patience a été nécessaire, le résultat final est éblouissant et cette série rejoint les meilleures du genre (La Quête de l'oiseau du temps et La Complainte des landes perdues). Ce tome 6 clôt de façon magistrale cette série en tout point exceptionnelle.

Après les romans et la série télé, voilà la version bédé du grand succès de Virginie Despentes. Le propos de la trilogie se prête parfaitement pour une adaptation graphique et qui d’autre que Luz, figure incontournable de Charlie Hebdo et qui plus est fou de musique et de dessin pouvait le mieux s'y essayer ?