L'année dernière, le diabl@gueur consacrait quelques billets au fameux prix Goncourt et aux incipit des romans sur lesquels Éric-Emmanuel Schmitt avait écrit une chronique dans le magazine littéraire Lire. Aujourd'hui rebelote puisque la liste des 8 finalistes du Goncourt vient d'être annoncée. Exit Ghislaine Dunant, Hélène Laurain, Maria Pourchet, David Deneufgermain, David Diop, Guillaume Poix et David Thomas, la vénérable académie ayant finalement choisi les romans de Nathacha Appanah, Caroline Lamarche, Emmanuel Carrère, Paul Gasnier, Yanick Lahens, Charif Majdalani, Laurent Mauvignier et Alfred de Montesquiou. La prochaine liste des quatre finalistes sera annoncée le 28 octobre et le nom du lauréat sera proclamé le 4 novembre. Qui remportera le gros lot ? Belgique oblige, le diabl@gueur souhaite ardemment que ce soit Caroline Lamarche car il faut remonter à l'année 1937 pour dénicher le dernier lauréat belge en la personne de Charles Plisnier (parfait inconnu aujourd'hui) pour un recueil de nouvelles intitulé Faux Passeports. Cet écrivain wallon, originaire de Mons, a le grand honneur d'être le premier écrivain étranger à avoir remporté le Goncourt. Cette année, le grand favori n'est autre qu'Emmanuel Carrère et son roman Kolkhoze mais la vénérable académie nous réserve peut-être une des ces surprises dont elle a le secret. En attendant, le diabl@gueur vous propose de lire les 8 incipit des romans finalistes et d'essayer de deviner à quels romans ils correspondent. Bonne lecture !
jeudi 9 octobre 2025
Incipit et Goncourt 2
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Cela devait forcément arriver. Trop de gens se sentaient diminués par la simple présence de voisins qu’ils ne supportaient plus. Quelques habiles avaient surgi au bon moment, et réussi à transformer cette exaspération atmosphérique en doctrine politique. En 2022, l’un d’eux se présenta à l’élection présidentielle française. Sa candidature fut ce que les commentateurs qualifiaient de « fait politique majeur », l’homme possédant un formidable talent pour baratter les passions sombres en un discours très efficace. Quatre mois avant l’élection, un soir de janvier 2022, il remplit le Palais des Victoires de Cannes, une enceinte sportive de quatre mille places, coincée entre l’autoroute A8 et le Luna Park. Dans ce chaudron, il monte sur scène les bras en l’air, le corps voûté mais avec la démarche énergique de l’outsider sûr de ses forces. Depuis plusieurs semaines, ses discours dégomment la hiérarchie du dicible, et à chaque provocation succèdent les sondages et les ralliements, comme si la France était enfin mûre pour écouter ce qu’il avait à dire sur « l’ensauvagement » du pays.
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Je vivais dans la pourpre, au milieu des souverains aztèques et palmyréens, dans la folie des rêves d’Alexandre le Grand et de Napoléon, mais ce devait être une compagnie trop prenante car je fus longtemps tenu pour un garçon solitaire, non seulement par mes parents, mais aussi par mes tantes paternelles, par les amies de ma mère, et même par Nawal, notre cuisinière, qui déclarait sentencieusement, comme si c’était sa propre découverte et son propre jugement, que je ferais bien de sortir un peu de tous ces livres qui m’abîmaient les yeux et me rendaient idiot, pensant que je lisais des romances semblables aux feuilletons qu’elle suivait le soir à la télévision quand mes parents sortaient. Le fait en tout cas était presque devenu une affaire d’État, reprise par tout ce monde divers et singulier qui fréquentait notre appartement de Furn-el-Chebbak : mes oncles et les cousins de mon père, les amies d’enfance de ma mère, les notables et les chefs de clan, les industriels du textile et du marbre, ...
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Le palais de justice, incongru et massif, domine presque intact la ville dévastée. Il se distingue de loin sur la Fürther Straße, large avenue glaciale qui semble avoir été la ligne de front, avec ses barricades faites de carcasses de tramways calcinés, criblés de balles. Ray gare sa jeep devant le perron de granit gris et, d’un pas leste, avale les marches encombrées de débris. Sur le seuil, une sentinelle lui barre l’accès. Malgré la pluie glacée de novembre qui fouette la façade, Ray ouvre son manteau pour sortir ses papiers de sa poche, tandis que le soldat, surpris, aperçoit ses galons de caporal-chef. D’un geste automatique, il porte la main à son casque pour une ébauche de salut militaire. Décidément, la guerre est bien terminée, se dit Ray. Depuis quand salue-t-on un simple gradé ? Le photographe referme son manteau quand une lourde planche de bois manque de lui heurter le crâne.
« Achtung ! hurle un ouvrier, qui marche d’un pas vif, une poutrelle en équilibre sur l’épaule.
Le 3 octobre 2023, cinquante-trois jours après sa mort, un hommage national est rendu à notre mère dans la cour d’honneur des Invalides. Drapeaux, uniformes, épaulettes, décorations. L’orchestre de la Garde républicaine joue, très bien, l’adagio de la symphonie Jupiter et, pour la touche russe, la Sérénade de Tchaïkovski. Nous sommes quelque deux cents personnes à patienter dans un carré de chaises en plastique blanc, délimité par des cordons rouges, au fond de l’immense cour pavée : famille, invités de la famille, académiciens, ministres, représentants des trois armées – terre, air, mer – et des corps constitués – soit les plus hautes institutions de la République. Pendant une heure, le soleil nous chauffe agréablement. Puis il disparaît derrière le toit, et il fait tout d’un coup très froid. On regrette de ne pas s’être mieux couvert. Notre père, assis dans un fauteuil roulant, est enveloppé dans un plaid. Je ne sais pas ce qu’il comprend, exactement, de ce qui se déroule. Par moments il semble oublier qu’il est veuf.
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Ils ne sont pas entièrement mauvais. S’il existait une manière de les presser pour en extraire un jus, ce jus ne serait pas tout à fait imbuvable, non, parfois sous son amertume empoisonnée il y aurait un arrière-goût de douceur. S’il existait une manière de les passer entre deux rouleaux compresseurs pour qu’ils se transforment en feuilles plates, ces feuilles ne seraient pas totalement opaques et inquiétantes comme le fond des mers, non, elles auraient ici et là des transparences et des veines fines qui leur donneraient un semblant de vulnérabilité. S’il existait une manière de les broyer en fine poussière, cette poussière ne serait pas complètement toxique, non, certaines particules flotteraient dans les rais du soleil et à les regarder, on pourrait croire à un ballet innocent. MB est maçon. Il est né en Algérie, près d’un petit port où les barques déchargent des sardines par palanquées. Au soleil, dans leur filet, les poissons brillent et bougent tel un seul morceau de métal en fusion.
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À la veille de partir, me voilà rassemblant mes naissances. Voulant faire tenir en une seule coulée mes vies dispersées, résolues, à vif. Trois fois des dés lancés au hasard m’ont dessiné autant de chemins sans sources, sans puits, que des tracés gorgés d’eau. Le hasard peut s’avérer un gouffre abyssal ou une avancée dans un ciel inconnu. Avancée éblouissante, insoupçonnée. Il faut tout traverser. Tout prendre. Le gouffre et le ciel. J’ai tout traversé. J’ai tout pris. Je suis venue au monde à la tombée de la nuit, au cœur du quartier du Nouveau Marigny, à La Nouvelle-Orléans, dans une demeure achetée en partie par mon père, Jean-Baptiste Duquette, un créole louisianais. Un matin de l’an 1803, Florette Dubreuil, ma grand-mère maternelle, est arrivée de l’île de Saint-Domingue en proie aux flammes. Au premier coup d’œil, on aurait pu ne pas croire affranchie cette négresse d’ébène pur. Mais sa jupe de crinoline jaune soleil et son corsage de soie à larges manches, couleur azur tranchant vivement sur son visage, ne laissaient aucun doute sur son statut. Florette Dubreuil tenait d’une poigne ferme Camille Dubreuil, ma mère, une petite mulâtresse de cinq ans.
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J’arracherai le buddleia. Sa beauté trompeuse a régné trop longtemps. Malgré son parfum et l’éclat de ses fleurs, ses feuilles renferment une molécule toxique pour les chenilles, il prend la place d’autres espèces, bref, c’est une plante invasive. Il est vrai que ce qui fut autrefois notre jardin, à Vincent et moi, est à ce point délaissé que la vigueur du buddleia constitue une prouesse. Longtemps je me suis réjouie de sa résistance là où les autres plantes sont envahies de liserons ou servent de banquet aux limaces. Ses fleurs en cierges, de ce violet splendide dont on décorait autrefois les églises en carême, me saluent du printemps à l’automne. Son surnom d’arbre à papillons a colonisé mon imaginaire. Dans mon enfance, les papillons étaient innombrables. Je virevoltais tout l’été en robe fleurie, mon filet à la main, les attrapant, les relâchant, les paons de jour, les piérides, les vulcains, ...
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Fouillé – j’ai fouillé partout où j’étais pour ainsi dire sûr de la retrouver les yeux fermés ; j’ai fouillé partout où j’étais certain qu’elle se cachait, puis dans les endroits où j’étais convaincu que je ne la trouverais pas mais où je me suis raconté qu’elle avait pu échouer par je ne sais quel coup du hasard, me doutant bien qu’il était impossible qu’elle y soit sans que personne l’y ait mise – et depuis quand aurait-elle atterri là ? Je la revois dans les tiroirs de la commode – c’est par ici qu’il fallait commencer, j’en étais sûr, par cette commode centenaire héritée de mon père, avec son plateau de marbre gris et rose fendu à l’angle supérieur gauche, son triangle presque isocèle qui n’a jamais été perdu et qui reste là, flottant comme un îlot en forme de part de tarte ou de pizza – mais cassé depuis quand et par qui ? – et qui n’a jamais été perdu ni jeté, même si la commode, en un siècle, n’a sans doute pas subi un seul déménagement, ou quelques-uns qu’elle n’aura vécus qu’à l’intérieur de la maison, passant peut-être, traînée par deux saisonniers réquisitionnés pour l’occasion, du rez-de-chaussée au couloir de l’étage pour finir ici, dans la chambre du cerisier, ...
1. La Nuit au cœur de Nathacha Appanah (Gallimard)
2. Kolkhoze d'Emmanuel Carrère (P.O.L)
3. La Collision de Paul Gasnier (Gallimard)
4. Passagères de nuit de Yanick Lahens (Sabine Wespieser)
5. Le Bel Obscur de Caroline Lamarche (Seuil)
6. Le Nom des rois de Charif Majdalani (Stock)
7. La Maison vide de Laurent Mauvignier (Minuit)
8. Le Crépuscule des hommes d'Alfred de Montesquiou (Robert Laffont)
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